Depuis la création de Midnight Weekly, nos saisons successives vous aidant à vous familiariser avec l’aventure de la création de notre compagnie d’hôtels sur rails, ont rencontré un grand succès. A la demande de nombre d’entre vous, c’est une nouvelle saison qui a commencé la semaine dernière et dont voici le deuxième épisode !
Après Acheter un train, mode d’emploi et Designer un train, mode d’emploi, cette nouvelle saison vous fera découvrir tout ce qui préside au cadre réglementaire ferroviaire en Europe et donc, tout ce avec quoi Midnight Trains compose au quotidien, dans la perspective de vous accueillir à bord de nos trains, à compter du début de l’année 2024. Depuis l’avènement de l’espace ferroviaire européen, plus besoin d’être un opérateur historique pour faire circuler des trains. Mais alors, quelles autorisations faut-il obtenir avant de faire partir son premier convoi ?
Première étape, assez administrative, il est nécessaire d’obtenir une licence d’entreprise ferroviaire. C’est en général le ministère des transports de l’Etat-membre où est domiciliée l’entreprise qui l’attribue. Capacité professionnelle de l’équipe de management, fonctionnement interne de l’entreprise, plan d’affaires prévisionnel,… Le pedigree du demandeur est passé au crible. Celui-ci doit également attester disposer d’un capital social supérieur à 1.5 M€ (c’est un peu moins dans le cas du transport de fret). Reste alors encore à démontrer disposer d’une couverture de responsabilité civile, un peu de la même manière que l’on ne sortirait pas sa voiture du garage sans sa vignette verte dûment collée sur le pare-brise. Les sommes en jeu ne sont cependant pas exactement les mêmes, puisqu’il faut être assuré pour des dommages allant jusqu’à 45 M€.
Après deux mois de délai d’instruction, le verdict tombe et en cas de décision positive, un arrêté ministériel sera publié au Journal officiel. Et une fois attribuée, la licence est valable dans toute l’Union européenne, ce qui est bien pratique pour exploiter des services internationaux.
Jusque là, c’était en fait un parcours de santé ! Il est temps de passer à l’étape suivante en s’attelant à l’obtention du certificat de sécurité. Lorsque le marché s’est ouvert au milieu des années 2000, il a fallu s’assurer que les nouveaux opérateurs présentent les compétences et la maîtrise nécessaires des risques propres à leur activité.
Dans chaque Etat membre, une autorité nationale de sécurité a été instituée : c’est ainsi que l’Établissement Public de Sécurité Ferroviaire (EPSF) vit le jour en France en 2006. Cet organisme était alors chargé de vérifier l’existence chez les nouveaux candidats d’un système de gestion de la sécurité. Inspirés des normes ISO, les requis portent sur la description de l’organisation et des responsabilités, sur les procédures ou encore le dispositif d’amélioration continue. En somme, tout ce qu’il faut pour garantir que l’entreprise exploite ses services ferroviaires avec le niveau de maturité adéquat, le tout n’étant pas sans rappeler par exemple les processus du transport aérien. La comparaison trouve vite ses limites, tant la mondialisation de l’aéronautique et l’unification des pratiques facilite les opérations (un pilote pouvant décoller ou atterrir presque n’importe où, dès lors qu’il est formé, évalué apte, qualifié sur son type machine et, bien sûr, qu’il parle au moins anglais).
Piloter la sécurité ferroviaire, c’est une affaire un brin moins standardisée : au-delà de ces considérations sur l’organisation de l’entreprise, encore faut-il que cette dernière respecte la réglementation des réseaux sur lesquelles elle circule. On sait en effet combien le transport ferroviaire est balkanisé : si ses origines britanniques ont influé sur son développement - c’est pour cette raison que les trains roulent à gauche en France - chaque pays dispose de sa signalisation et de sa réglementation d’exploitation. Pour faire rouler des trains, il faut donc écrire des procédures internes relatives à la formation du personnel, aux règles de conduite en situation normale et perturbée, à la composition des trains, ou encore à la gestion des sous-traitants ayant un impact sur le niveau de sécurité. Le contenu dépend bien entendu de l’activité réalisée. Le transport de voyageurs a ses spécificités mais le trafic marchandises n’est pas nécessairement plus simple, lorsqu’il s’agit d’écrire ses modes opératoires liés à la gestion des matières dangereuses.
Pour un nouvel opérateur, le travail préparatoire précédant le premier tour de roue est donc dense : c’est une affaire de dix-huit mois. Une période nécessaire à cet exercice qui n’est pas que théorique et encore moins hors-sol : pour que les procédures soient adaptées au contexte de l’entreprise, il faut bien souvent itérer sur l’organisation interne, caler finement la répartition des responsabilités, détailler l’organigramme et en préfigurer certains postes. Tirer parti, en résumé, de cette figure imposée.
Reste qu’obtenir le graal ne sera qu’un soulagement passager car une fois le service débuté, il s’agit de mettre en œuvre toutes les procédures convenues et validées par l’autorité de sécurité. Celle relative au retour d’expérience par exemple, qui décrit comment les événements qui affectent la sécurité sont analysés, pris en compte et si nécessaire partagés avec les autres acteurs du système ferroviaire ; la gestion documentaire ; la gestion des compétences… Et bien d’autres encore. Pas question de faire d’impasse. Véritable gendarme du rail, l’EPSF continue de veiller au grain : chaque entreprise ferroviaire est régulièrement auditée, les titres d’habilitation de son personnel parfois contrôlés sur le terrain. Le certificat de sécurité doit être renouvelé au bout de cinq ans, et un bouclage est réalisé à cette occasion.
Depuis maintenant deux ans, le processus d’obtention du certificat de sécurité a évolué : sous l’effet de ce que l’on appelle le quatrième paquet ferroviaire, à savoir un ensemble de directives et règlements européens adoptés en 2016, et c’est maintenant en règle général l’European Railway Agency (ERA) qui les délivre. La décision est prise de concert avec les autorités de sécurité nationales. Le sens politique de cette réforme : réaffirmer l’existence d’un espace ferroviaire européen, tout en simplifiant la réglementation - celle-ci devient essentiellement européenne à travers les spécifications techniques d’interopérabilité, le droit national se limitant à les compléter si nécessaire. De quoi quelque peu simplifier le passage des frontières : étendre son certificat de sécurité à plusieurs réseaux est un peu plus simple.
Ainsi naissent les entreprises ferroviaires ! Si l’on espère que la complexité de cet épisode vous a permis de nous lire jusqu’ici, c’est que ces deux étapes sont fondamentales pour l'avènement de toute compagnie. La semaine prochaine, rendez-vous pour un nouvel épisode qui, cette fois, portera sur l’homologation du matériel roulant !