Depuis la création de Midnight Weekly, nos saisons successives vous aidant à vous familiariser avec l’aventure de la création de notre compagnie d’hôtels sur rails, ont rencontré un grand succès. A la demande de nombre d’entre vous, c’est une nouvelle saison qui a commencé et dont voici le troisième épisode.
Après Acheter un train, mode d’emploi et Designer un train, mode d’emploi, cette nouvelle saison vous fait découvrir tout ce qui préside au cadre réglementaire ferroviaire en Europe et donc, tout ce avec quoi Midnight Trains compose au quotidien, dans la perspective de vous accueillir à bord de nos trains, à compter du début de l’année 2024. Après avoir évoqué les profondes modifications réglementaires apportées au système ferroviaire au cours des dernières années, place au matériel roulant qui tient évidemment un rôle tout particulier. Dans un système ferroviaire où les responsabilités sont morcelées, les constructeurs multiples et le besoin d’interopérabilité croissant, quelles règles de conception les trains doivent-ils respecter et comment s’assure-t-on de leur compatibilité avec l’infrastructure ?
Intéressons-nous pour commencer aux règles de conception. Certains organes du matériel roulant sont communs depuis toujours : l’attelage a finalement assez peu évolué depuis les prémices du chemin de fer. L’écartement des rails, fort heureusement, n’a pas changé d’un iota. Dès 1922, fut créée l’Union internationale des chemins de fer, qui aura été un important organe prescripteur pour promouvoir la normalisation du matériel.
A présent, c’est l’Europe qui a pris le relais. Les règles de conception et d’homologation du matériel roulant sont de plus en plus communes, le minimum incompressible étant décrit par des textes européens (dont la Spécification Technique d’Interopérabilité Locomotive & Voyageurs, ou STI Loc & Pas) : de la mesure de la performance de freinage aux notes de l’avertisseur sonore, tout y est. Un matériel conforme aux STI est réputé apte à circuler partout, modulo quelques règles nationales spécifiques. Pour autant, l’Agence ferroviaire européenne (ERA) veille au grain et s’assure que ces règles sont légitimes et n’entravent pas l’ouverture du marché.
Le processus d’homologation occupe ensuite une place essentielle. Au cours de la construction du matériel, le fabricant s’assure de la conformité aux STI. Il choisit alors un organisme de certification - un notified body dans le jargon - qui s’assurera non seulement que l’ensemble des règles applicables est respecté ab initio, et qui vérifiera aussi la compatibilité réelle du matériel roulant. Certains composants ont déjà été testés sur d’autres matériels, ou peuvent l’être en essai statique, mais dans la plupart des cas une campagne d’essais en grandeur nature est nécessaire. Car parfois, la modélisation ne peut pas tout.
Pour en avoir le cœur net, on vérifie entre autres le shuntage des circuits de voie et l’impact des éventuels courants perturbateurs générés par la chaîne de traction : la signalisation ferroviaire détecte les circulations en ce que les essieux de celles-ci réalisent un court-circuit entre les deux rails : on vous racontera cela une prochaine fois ! En France, ces essais sont souvent réalisés à Plouaret en Bretagne, où la salinité est la plus critique du réseau. Les pantographes sont également vérifiés en planage et en captage, histoire de s’assurer qu’ils ne créent pas d’efforts sur la caténaire susceptible de l’endommager. Le freinage est lui souvent vérifié au lancer : une locomotive donne de l’élan au véhicule, puis s’en détache et abandonne celui-ci, à bord duquel un freinage d’urgence est déclenché. Les performances de redémarrage en rampe peuvent aussi être contrôlées : c’est alors la montée de Capvern, dans les Pyrénées, et ses redoutables 33 pour mille, qui sont mis à contribution pour ce faire.
Quelques circuits spéciaux existent pour réaliser certains de ces essais sur une infrastructure dédiée plutôt que sur une ligne où le service commercial prime. L’anneau d’essais de Velim (République Tchèque) est sans doute le site qui a vu passer le plus de matériels roulants sur ses 15 kilomètres de voies alimentables dans les quatre principales tensions que l’on retrouve en Europe, et où les larges courbes permettent d’atteindre les 230 km/h. A Petite Forêt, non loin de Valenciennes, une installation de taille plus modeste existe - ainsi qu’une chambre climatique permettant de vérifier le fonctionnement sous températures extrêmes.
Evidemment, les particularités propres à chaque réseau de chemins de fer s’en mêlent aussi ! Autrement dit, une fois le matériel déclaré conforme, tout n’est pas joué pour autant. Non seulement certaines infrastructures présentent des gabarits plus ou moins généreux - le gabarit GA Français affiche des hauts de caisses plus étroits qu’en Allemagne par exemple- mais des obstacles ou limitations ponctuels peuvent aussi exister. Les opérateurs sont donc tenus de vérifier la compatibilité de leur matériel avec le Registre de l’Infrastructure Ferroviaire (RINF), qui vaut pour toute l’Europe.
Cela peut prêter à sourire, mais on se souviendra de l’introduction très poussive des Regio2N en France, ces TER à deux niveaux, dans le courant de l’année 2015. En cause : une architecture innovante, avec des caisses plus courtes mais aussi plus larges, parfois incompatibles avec des quais qui n’étaient plus aux normes géométriques voulues – souvent par affaissement au fil du temps. Un fiasco qui aura coûté cher à SNCF Voyageurs en réputation…et cher à SNCF Réseau en travaux.
La semaine prochaine, rendez-vous pour un nouvel épisode qui, cette fois, portera sur la construction des horaires des trains, ceux-là mêmes qui rythment vos départs et vos arrivées.