Souvenez-vous. Il y a bientôt un an, la première édition de Midnight Weekly commençait par cette question posée à la façon d’un défi : et si les chefs d'État renonçaient à l'avion officiel ? A l’époque, nous nous considérions raisonnablement fous en y croyant, convaincus que nos hôtels sur rails finiraient par les y résoudre : après tout, leurs prédécesseurs ne se posaient même pas la question, au point qu’un président français tomba de son train et disparut du radar de ses officiers de sécurité pendant près de vingt-quatre heures. True story.
S’il en était une que nous n’avions pas à convaincre, c’était bien Élisabeth II. Car la Reine d’Angleterre herself n’a jamais remis en question la pertinence de l’exquis British Royal Train - sauf quand elle lui a préféré les lignes ferroviaires commerciales - un train qui depuis 180 ans, a transporté les suzerains successifs du Royaume-Uni à la rencontre de leurs sujets.
C’est en toute logique que la fabuleuse histoire de ce train royal s’élance au XIXe siècle, la century de l’âge d’or des chemins de fer. A l’époque, une autre femme est installée sur le trône britannique : la reine Victoria, arrière-arrière-grand-mère d’Élisabeth II. C’est sous son impulsion que le British Royal Train va opérer son premier trajet pour la mener de Slough, dans le comté de Berkshire, à la gare londonienne de Paddington, en 1842. Depuis lors, ce train mythique a été l’auguste véhicule des têtes couronnées et de leurs cours, au moyen de ses sept à neuf wagons qui ont tout du palace sur rails.
Car si la reine Victoria veille dès sa naissance à ce que ce train soit à la pointe du confort, son successeur, Edouard VII, ne va pas lésiner sur les moyens pour que le British Royal Train soit un summum de luxe à la hauteur de ses goûts exigeants. Et il y va franco puisque dès 1902, alors qu’il n’est roi d’Angleterre que depuis deux ans, il commande un nouveau train avec pour tout pitch à ses concepteurs qu’il soit “aussi ressemblant que possible au Royal Yacht”.
Le ton est donné et le résultat va suivre. Les neufs wagons du train royal sont alors équipés de bureaux, salons et dressings fastueux, tandis que plusieurs chambres y sont conçues sur mesure, notamment celles respectives du roi et de la reine. A bord, le roi ne se refuse rien, modernisant d’année en année son rutilant véhicule de fonction à grand renfort de ventilateurs électriques, d’une cuisine équipée et…d’un allume-cigare électrique, comble du chic pour l’époque : Edouard VII n’aime en effet rien tant que de regarder le paysage défiler depuis son fumoir.
Lorsque son fils, George V, lui succède en 1910, il va encore plus loin dans le raffinement, en faisant installer à bord une salle de bains dotée d’une baignoire. Jusque là, seule une pièce d’eau - sommairement impériale tout de même - permettait au roi et à la reine d’y faire leur toilette, tandis qu’eux seuls avaient accès aux WC embarqués. Le reste de la cour n’avait qu’à avoir la vessie solide puisqu’il leur fallait attendre les arrêts en gare pour s’y soulager dans les toilettes publiques. La dure vie de courtisan !
Si la reine Élisabeth II, qui aime voyager en train, décidera d’un upgrade pour le British Royal Train en 1977, à l’occasion de son jubilé d’argent, l’utilisation de ce moyen de locomotion n’en sera pas moins questionnée plusieurs décennies plus tard par des membres du parlement britannique, pointant son coût exorbitant : chacune de ses sorties supposerait la bagatelle de 60.000€ au contribuable britannique. En dépit de la controverse générée, le British Royal Train ne sera pas démantelé, la reine lui préférant à plusieurs reprises les liaisons ferroviaires commerciales, afin de rationaliser les dépenses de ses déplacements.
Il est en tout cas possible que le dernier voyage de cette tête couronnée d’ores et déjà légendaire se fasse à bord de ce train royal. C’est du moins ce qu’a avancé comme hypothèse le site toujours très bien informé de Politico, dans un article dévoilant le plan London Bridge qui serait activé suite au décès de la reine. Tout y est prévu à la minute près, de la mort de la suzeraine jusqu’à ses funérailles. Et dans le cas où Elizabeth II rendrait son dernier souffle au château de Balmoral, en Écosse, serait alors déclenchée l’opération dite Unicorn, afin de rapatrier son corps à Londres, à bord du British Royal Train. On lui souhaite que ce moment arrive le plus tard possible.
Si nos hôtels sur rails vous donneront, vous aussi, envie de préférer le train à l’avion, il n’en est pas moins vrai qu’à l’image de la Reine d’Angleterre, nombre de chefs d’Etat pourraient remplacer nombre de leurs déplacements en avion - souvent privé - par des trajets en train. Ce n’est en effet pas par le discours que l’on devient leader, plutôt par l’exemple. Et les voies ferrées du transport bas-carbone n’attendent qu’une chose : qu’on les emprunte pour mieux les partager.