En la comparant à une version techno de Bella Ciao et à une doudounette sans manche, nous n’avons pas épargné la voiture électrique. Pourtant, c’est un fait incontestable : la prise de conscience écologique, la volonté politique internationale (franchement tardive mais c’est toujours mieux que rien) et la possibilité de décarboner largement l’électricité en ont fait le véhicule personnel de demain. En tout cas pour ce qu’on appelle volontiers les pays du Nord, ces riches habitants de la Terre qui peuvent amorcer une transition écologique globale et privée. Loin de nous l’idée de dire que tous les Français ont les moyens de remplacer leur vieille guimbarde à moteur thermique. Mais par rapport aux Brésiliens, aux Népalais ou aux Burundais, ce sera beaucoup plus simple. D’autant plus que les gouvernements des pays les plus riches pourront soutenir, et soutiennent parfois déjà, ce changement de paradigme automobile. Pourquoi cette considération ? Pour la simple et bonne raison que pour que la voiture électrique soit une véritable révolution écologique, il faut qu’elle soit globale.
Entendons-nous bien, à l’exception de quelques voix dissidentes et souvent douteuses, une voiture électrique est toujours écologiquement préférable à une voiture thermique. D’abord, parce qu’elles émettent de fait moins de gaz à effet de serre. Ensuite, parce que les matières premières critiques que les batteries électriques utilisent — comme le lithium (sur lequel nous nous sommes déjà penchés par le passé) sont souvent exploitées au détriment de la planète et des populations locales. Exactement comme les hydrocarbures fossiles. Bref, égalité dans la nullité sur ce second point. Sauf que, selon Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux et spécialiste de l’automobile, plus les modèles de voitures électriques évoluent, “moins ils sont gourmands en matières premières critiques”. Avec un peu de temps et quelques sauts technologiques, nous sommes en droit d’imaginer que les choses continuent à évoluer dans cette direction.
Mais ce n’est pas tout. En réalité, comme nous l’avait déjà expliqué Gérard Feldzer, président d’Aviation Sans Frontières, dans notre saison sur l’avion solaire, il est bien plus facile d’installer des capacités de production électrique dans une région reculée que d’y apporter de l’essence. Une fois encore, pour que les parcs de tous les pays changent, il faut offrir aux habitants les plus démunis une bonne raison de changer de véhicule. Or, entre l’électricité quasi gratuite d’un parc solaire construit à côté d’un village et le pétrole hors de prix venu du bout du monde, le choix est rapide. Pour un Français comme pour un Brésilien, un Népalais ou un Burundais. “Je ne vois pas l’automobile thermique survivre dans certains pays pour d’évidentes questions d’approvisionnement, surtout, évidemment, dans ceux qui n’ont pas eux-mêmes d’hydrocarbures. Tandis qu’avec une production d’électricité décarbonée, photovoltaïque ou autre, ils pourraient être plus autonomes énergétiquement et géopolitiquement”, développe Bernard Jullien. En effet, difficile d’imaginer que des pays comme l’Inde ou la Chine — avec respectivement plus de 326 et 415 millions de véhicules à moteur en circulation — continuer à tabler sur des ressources bientôt épuisées. Et c’est le même constat pour les pays ayant une forte augmentation démographique sans avoir les moyens de l’Empire du Milieu.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, la voiture électrique pourrait être une opportunité de changer les rapports de force. De mettre fin à la politique de domination et de pillage des ressources des pays les moins développés par les plus développés. “Nous avons eu l’audace d’imposer aux constructeurs de passer à l’électrique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à cause du dérèglement climatique. Ayons aussi l’audace de leur dire qu’on ne veut plus du travail des enfants, pas plus que de la mise sous tutelle économique de pays ayant des ressources, ou de l’utilisation de matériaux extraits dans des conditions inacceptables. Il faut profiter de cette occasion pour créer de nouvelles façons de faire”, propose Bernard Jullien. Et d’ajouter : “On ne peut plus considérer qu’il s’agit de quelque chose entre les opérateurs privés. Il faut de la planification nationale et internationale afin d’introduire de la démocratie et des droits fondamentaux dans la transition écologique, dans le secteur automobile comme dans les autres”.
Cette logique pourrait également s’appliquer au recyclage des véhicules thermiques, dont il faudra bien faire quelque chose, qu’aux batteries au lithium. “Nous avons des filières assez structurées en Europe et aux États-Unis pour les véhicules hors d’usage. C’est un peu moins vrai en Inde ou en Chine mais il y a des groupes de réflexions sur le sujet au sein des Nations Unies. En revanche, pour les batteries, tout le monde a bien en tête que nous n’arriverons à satisfaire nos besoins en lithium ou en cobalt que si nous apprenons à les recycler. Il y a donc d’ores et déjà une réflexion là-dessus qui, couplée à notre expérience passée sur le thermique, devrait faire entrer la voiture électrique de plain-pied dans l’économie circulaire”, conclut Bernard Jullien. En plus d’être écologique, la révolution de la voiture électrique pourrait donc être sociale et géopolitique. Pour une fois, il faut bien l’admettre, la promesse de la technologie de cette saison est séduisante.