Saison 3 / L’avion à hydrogène

Episode 4 / Verrons-nous un parc aérien mondial fonctionnant à l’hydrogène ?


Bon, vous l’avez bien compris en lisant l’épisode de la semaine dernière, le chemin vers une aviation courts et moyens courriers entièrement décarbonée (puisque les longs courriers ne seront a priori jamais concernés) est encore long. Mais long comment ? Combien d’années faudra-t-il encore attendre ? Emmènerons-nous nos enfants en vacances à l’autre bout de la planète sans la moindre arrière-pensée ni le moindre sentiment de culpabilité grâce à cette technologie ? Nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants se souviendront-ils que leurs aïeuls s’en voulaient (ou pas d’ailleurs) de monter dans un engin volant ? La flygskam finira-t-elle oubliée au fond des pages d’un dictionnaire poussiéreux ? Les dictionnaires existeront-ils encore lorsque… Désolé, nous sommes partis un peu loin mais vous avez compris l’idée.

Pour éclairer notre lanterne à hydrogène vert (soyons fous), nous avons posé deux questions (rien sur les dictionnaires et les encyclopédies, promis) à Arnaud Aymé, expert des mobilités et des transports au sein du cabinet Sia Partners. Tout d’abord, nous lui avons demandé à quelle échéance est-ce que de véritables avions à hydrogène pourraient voler. Ensuite, nous l’avons interrogé sur la date à laquelle cela pourrait devenir un véritable moyen de se déplacer dans le ciel. Deux questions dont les réponses peuvent paraître liées mais qui ne le sont pourtant pas tant que cela.

Comme l’annonce Airbus, et comme le prévoit le gouvernement français dans son Plan Hydrogène, on peut raisonnablement penser que des avions à hydrogène seront effectivement disponibles pour être utilisés à horizon 2035 et qu’il sera industriellement possible de les produire. De plus, cette échéance est aussi celle à laquelle les industriels de la chimie estiment pouvoir être prêts à fournir des quantités substantielles d’hydrogène vert. Car, on ne le redit jamais assez, l’hydrogène actuellement produit sur la planète est très majoritairement produit à l’aide d’énergies fossiles. Par contre, en ce qui concerne,le déploiement d’une flotte conséquente, je préfère ne pas me prononcer sur une date. Pourquoi ? Tout simplement parce que celle-ci pourrait bien être : jamais !”, explique le spécialiste.

Il poursuit : “Pour que cela se mette en place, il faudrait qu’il y ait un intérêt à le faire pour les compagnies aériennes et cet intérêt est loin d’être acquis. D’abord, parce que l’hydrogène ne concernera pas tous les avions, à commencer par les longs courriers. Ensuite parce que l’hydrogène est produit à proximité des zones de production d’électricité durable. Il faut donc ensuite le transporter jusqu’aux aéroports, ce qui est extrêmement difficile eu égard à la taille de la molécule ainsi qu’à sa très haute inflammabilité. Bien sûr, on peut imaginer l’installation de zones de production d’hydrogène vert à proximité des aéroports mais toutes ces solutions relèvent d’une grande complexité logistique et demandent l’installation de nombreuses infrastructures.” Or, malgré leurs coûts et leurs exigences techniques, ces dernières ne serviraient donc qu’à la partie du parc aérien volant à l’hydrogène. Soit au mieux, les appareils effectuant des vols régionaux, ce qui rend l’investissement franchement discutable.

Pour Arnaud Aymé, un second problème s’ajoute : la concurrence des SAF (sustainable aviation fuel), les carburants d’aviation durables. “Ils ont leurs propres défauts mais ils sont beaucoup plus prometteurs que l’hydrogène car nous savons d’ores et déjà les produire et ils ne demandent pas de modification des aéronefs. Bien qu’ils soient encore assez onéreux, il y a fort à parier que leur production aura suffisamment augmenté pour régler ce problème avant que la filière de l’aviation à l’hydrogène ne soit concrètement développée. De plus, même lorsque nous aurons des quantités plus conséquentes d’hydrogène vert, il n’est pas certain que l’arbitrage se fasse en faveur de l’aérien. Et pour cause, il pourrait être bien plus utile à la décarbonation des flottes de camions plutôt qu’à celle des avions. Or, nous sommes sortis de l’ère du greenwashing où il suffisait de raconter une belle histoire pour avoir l’air écolo. Aujourd’hui, si les compagnies aériennes veulent se faire financer par des banques, elles doivent présenter de véritables trajectoires vers la neutralité carbone. Elles ont donc besoin de solutions concrètes et déployables, ce qui, à mon avis, ne va pas dans le sens de l’hydrogène.” Rideau donc.

Vous l’aurez compris, il y a donc deux échéances pour l’avion à hydrogène : 2035 pour la technologie et probablement jamais pour le déploiement d’un parc aérien conséquent. Comme à chaque fin d’épisode, nous vous avons donc fait une petite liste de projections prospectives pour l’une comme pour l’autre.


Lorsqu’un avion à hydrogène sera prêt à voler en 2035 :

  • Les voitures thermiques seront presque totalement interdites à la vente dans l’Union européenne
  • Tout le monde se demandera s’il faut un plan de gestion des millions de véhicules encore en circulation ou s’il faut garder nos vieilles C4 Cactus pour les revendre à des collectionneurs
  • Selon le Giec, le climat aura déjà augmenté de 1,5°C et, selon Météo France, la température atteindra régulièrement 50°C
  • Après les méga-feux, les médias parleront de turbo-canicules ou giga-sécheresses  comme s’il s’agissait d’un nouveau phénomène
  • Le nombre d’avions fonctionnant au kérosène approchera tranquillement des 47 000 contre un peu plus de 23 000 aujourd’hui
  • Les passagers des avions seront autorisés à voyager en maillots de bain pour survivre à l’affligeante chaleur de la Terre

Lorsque que le parc aérien mondial volera à l’hydrogène en… jamais :

  • Le parc aérien mondial volera à l’hydrogène
  • On ne dira pas jamais car il ne faut jamais dire jamais
  • Les poules auront des dents et elles auront perdu leurs plumes pour survivre à la chaleur

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