Voici une nouvelle saison dans les coulisses d’une compagnie comme Midnight Trains, que nous vous proposons. Après une première saison consacrée à l’achat du matériel roulant, Midnight Weekly vous propose cette fois une saison en cinq épisodes, pour tout vous raconter sur comment s’y prendre pour designer un train (et plus encore, comme quand dans notre cas, le design participe à réenchanter le voyage en train de nuit).
Dans le premier épisode, nous avons tout dit sur l’inventaire des espaces, préalable essentiel pour définir les services proposés en fonction des publics et du positionnement de l’opérateur. Cette fois, on passe à l’étape suivante : nous allons insérer l’intégralité de cet inventaire dans les espaces contraints du train, avec une logique d’optimisation économique et de confort, afin de définir le diagramme des voitures (autrement dit, le plan en deux dimensions des espaces intérieurs de chaque type de voiture) et la composition des trains (la somme de voitures composant le train au complet).
Un train composé d’une locomotive et de voitures passagers est un espace contraint à deux niveaux. Chaque voiture fait généralement 26,4m de long et environ 2,8m de large. En ce qui concerne la rame (la somme des voitures composant le train), elle est limitée à environ 14 voitures, afin que chaque voiture puisse être accessible depuis le quai (qui s’étend sur une longueur de 400m, en général). Fort de ces éléments intangibles, il nous faut donc intégrer l’inventaire des espaces dans 14 voitures de 26,4m de long et 2,8m de large.
A présent, commençons par définir le nombre de voitures différentes dont nous allons avoir besoin pour intégrer l’inventaire des espaces. Si l’on repart de notre exemple du dernier épisode d’un train de nuit avec un positionnement luxe pour les voyageurs d’affaires, nous avions défini quatre modules composant l’inventaire des espaces :
L’approche première pourrait consister à avoir chaque espace dans une voiture dédiée. Nous aurions alors quatre types de voitures différents :
Dans une approche radicalement différente, on pourrait décider d’avoir l’intégralité de l’inventaire des espaces dans une seule et même voiture, histoire de rendre ça un peu plus fun. Nous n’aurions alors qu’un seul type de voiture qui regrouperait :
Et les voyageurs d’avoir dès lors accès à toute l’offre de service, dans une seule et même voiture qu’ils auraient privatisée.
Cette première étape n’est pas anodine : elle va avoir un impact significatif sur la construction (ou la rénovation) des trains, autant que sur le délai de livraison et les coûts. Elle va aussi définir ce que l’opérateur pourra envisager ou non, dans le futur. Car c’est logique, après tout : plus le nombre de voitures différentes sera élevé, plus le coût et les délais de construction (ou de rénovation) risquent d’être importants et plus la flexibilité dans les opérations futures sera moindre.
Penchons-nous un peu sur les délais et coûts de construction. Le constructeur en charge de la conception du train, fait face à des coûts fixes pour la mise en place de sa chaîne de production. Chaque variation sur cette chaîne engendre de nouvelles ressources incompressibles et notamment une nouvelle organisation industrielle, une nouvelle ingénierie ou encore le besoin de nouveaux matériaux.
Par ailleurs, chaque type de voiture devra passer des tests et des homologations, longues et coûteuses, ce dont nous vous avions parlé dans notre précédente saison. Ainsi, plus le nombre de voitures différentes sera élevé, plus ces coûts fixes pour le constructeur vont être élevés avec une répercussion directe sur le coût pour l’opérateur, notamment s’il s’agit d’une commande de petite taille (les coûts fixes étant alors divisés par un plus petit nombre de voitures).
Enfin, la définition du nombre de voitures différentes a également un impact sur les réserves nécessaires à la garantie du service. C’est un réalité à prendre en compte : il arrive qu’une voiture soit indisponible à la circulation (problème technique, maintenance,...). Tout opérateur doit donc acheter des voitures de réserve, afin de pallier à toute capacité diminuée ou à une offre de service dégradée.
Avec l’approche qui consiste à avoir un type de voiture par service (donc quatre voitures différentes), l’opérateur devra avoir à minima une voiture de réserve pour chaque type, soit quatre voitures de réserve minimum. Dans le cas où l’opérateur n’a qu'un seul type de voiture intégrant tous les services, l’opérateur pourra disposer d’une seule voiture de réserve qui pourra être utilisée quelque soit la voiture qui est inapte à la circulation.
A partir de là, en ce qui concerne la flexibilité dans les opérations futures, l’équation est relativement simple. Lorsque l’opérateur ne dispose que d’un seul type de voiture, sa composition a une flexibilité optimale. En effet, l’opérateur pourra faire circuler de 1 à 14 voitures à l’arrière de la locomotive en maintenant tous les services à bord. A l’inverse, si l’opérateur dispose de quatre types de voitures, alors sa composition minimale sera de quatre voitures pour assurer tous les services à bord.
Ainsi, avec le même nombre de voitures à disposition, le premier opérateur pourrait faire circuler plusieurs petits trains vers différentes destinations, là où le second opérateur serait beaucoup plus limité. On vous explique plus précisément ce point, dès maintenant !
Le nombre de voitures différentes étant défini, et quelque soit l’approche retenue, il convient ensuite de déterminer l’architecture de chaque type de voiture en y insérant les modules afin d’arriver à chiffrer (en nombre de personnes, par exemple) sa capacité maximale. Cette étape nécessite forcément des compétences techniques (ingénierie et design industriel) et une connaissance parfaite du matériel ferroviaire.
Les équipes de design industriel, en lien avec les équipes d’ingénierie, vont alors dessiner en 2D le plan de chaque voiture en tenant compte des dimensions de la voiture, des normes ferroviaires en place (normes d’évacuation en cas d’incendie, accessibilité,...), des éléments incompressibles (couloir de circulation, réseau électrique, emplacement des portes,...) et du niveau de confort voulu par l’opérateur (taille minimale du lit, largeur minimum du couloir de la chambre, taille minimale pour stocker les bagages, taille minimale de la salle de bain,...).
De ce travail, naît ce qu’on appelle le diagramme de chaque voiture et on peut à présent passer à l’étape suivante : la composition de la rame. Si vous avez bien suivi (on vous avait promis d’entrer dans nos coulisses, vous n’êtes pas déçus, hein!), nous sommes limités à 14 voitures, ce sans quoi il n’y aurait pas de quai assez long pour que vous embarquiez. Ce serait ballot.
Si l’on considère l’exemple où nous disposons d’un seul type de voiture, cette étape est triviale, la rame sera composée de 14 voitures identiques. Easy. A l’inverse, si nous avons plusieurs types de voitures, la question se pose. Afin d’y répondre, la façon la plus simple de procéder est de réaliser une première composition qui semble, dans les grandes lignes, correspondre à la capacité envisagée par l’opérateur dans son modèle économique.
Imaginons que l’opérateur souhaite avoir une capacité minimale de 200 passagers par train et que l’exercice des diagrammes fasse ressortir une capacité maximale de 20 passagers pour la voiture composée de chambres. Il faudra alors que la rame soit composée à minima de 10 voitures avec des chambres. Une première ébauche de la composition type pourrait donc être :
Mais alors, comment s’assurer que le niveau de services et de confort sera optimal avec cette composition ? Ce sera justement l’objet de notre prochain épisode !