Depuis un mois, c’est une nouvelle saison dans les coulisses d’une compagnie comme Midnight Trains, que nous vous proposons. Après une première saison consacrée à l’achat du matériel roulant, Midnight Weekly vous propose cette fois une saison en cinq épisodes, pour tout vous raconter sur comment designer un train (et plus encore, comme quand dans notre cas, le design participe à réenchanter le voyage en train de nuit).
La fois dernière, nous avons intégré les éléments fonctionnels et techniques dans tous les espaces de notre train, en suivant le parcours d’une voyageuse d’affaires à bord. Grâce à cette étape, nous commençons donc à avoir une vision très précise de notre train, mais sans matière et en noir et blanc. Sauf que bon, vous en conviendrez, personne n’a envie de passer douze heures de voyage dans des espaces très bien pensés, fonctionnels et disposant de tous les éléments techniques mais froids, sans odeur et sans saveur. C’est donc l’objet de notre dernier épisode de cette deuxième saison : les matières et les couleurs.
Cette nouvelle et ultime étape est plus qu'essentielle (bon, c’est vrai qu’on vous dit cela toute les semaines depuis le début de cette saison!). Lors du dernier épisode, nous faisions référence à des usages et à des personna : tout l’enjeu à présent repose sur du sensoriel, la vue et le toucher (voire l’odeur pour certaines matières), et l’image perçue par les voyageurs de la compagnie et de son positionnement.
Dans le cas particulier des trains de nuit, on trouve d’ailleurs des designs très différents, en cohérence avec l’offre et le positionnement de chaque compagnie, des trains-croisières au style très suranné façon Venise-Simplon-Express aux trains de nuit de la SNCF avec un design ancré dans l’univers des moyens de transport. L’aspect esthétique est donc le premier élément qui nous vient en tête lorsque l’on aborde cette étape du design et pourtant, comme toujours, cela n’est pas aussi simple.
Bien que l’opérateur ait à cœur d’avoir un design qui correspond à son image, son positionnement et ses valeurs, bien d’autres aspects entrent en jeu afin de définir le résultat final. Voici les différents aspects à prendre en compte, à nos yeux :
Nous vous en parlions dans notre saison précédente : un train, et en particulier un train neuf, a une durée de vie de plusieurs dizaines d’années. Il est bien évidemment possible de modifier ce design au cours de la vie du train. C’est d’ailleurs ce que vient de faire Thalys et il va néanmoins sans dire qu’une rénovation est coûteuse et qu’elle prend un temps pendant lequel les trains ne circulent pas. Pour éviter au maximum une rénovation tous les trois ans, il faut donc penser le design à long-terme en identifiant ce qui correspond à l’image de la compagnie et aux attentes des voyageurs comme anticipant ce qu’il en sera dans dix ans.
Le travail du designer tourne donc autour de la prospective et il lui faut constamment imaginer le monde dix ans plus tard, pour s’assurer que les choix actuels seront toujours plus au moins valables, d’ici là. Personne n’étant grand clerc et les boules de cristal ayant leurs limites, le talent d’un designer réside dans sa capacité à savoir que certains choix seront plus intemporels que d’autres : l’écueil à éviter est celui d’un design qui passera vite de mode. Il s’agit là d’une facilité autant que d’une sécurité, afin de permettre aux voyageurs de reconnaître - consciemment ou non - un univers, une ambiance, un style familier et cohérent avec celui des lieux qu’ils côtoient habituellement.
Toujours dans cette logique de longévité du design, chaque choix doit également être fait au regard de la maintenance des matériaux et de leur praticité pour les personnes qui travaillent dans le train. Un train est un lieu de vie pour les voyageurs, et de travail pour son équipage. Le design doit donc être pensé pour ces deux typologies de passagers à des fins de bien-être collectif.
Des matériaux clairs, en complément des surfaces vitrées, vont accroître la luminosité et donner un sentiment d’espace aux voyageurs ; ils sont toutefois le pire ennemi des personnes en charge du nettoyage du train. Les matériaux en tissu peuvent apporter de la chaleur au design mais sont également enclins à retenir la poussière et se déchirent facilement.
Enfin, tout n’est pas forcément possible dans un train. Comme nous vous l’avons expliqué précédemment, le secteur est contraint par des règles et des normes pour assurer la sécurité des passagers. Les matériaux les plus nobles comme le bois naturel ou encore le marbre y sont proscrits. Cela limite également la liste de fournisseurs de matériaux qui pourront apporter des solutions entrant dans l’univers normatif du ferroviaire.
Les différents aspects à prendre en compte étant maintenant bien établis, nous pouvons commencer le processus d’intégration des matières et des couleurs. Commençons par reproduire l’intégralité du train en 3D, sans les matières et les couleurs. Ce travail de reproduction (dont un exemple illustre ce dernier épisode) s’appuie bien évidemment sur les travaux réalisés lors des épisodes précédents et reprend strictement :
La seconde étape consiste ensuite à réaliser un moodboard, à savoir un document composé d’images d’inspiration qui peuvent être d’autres trains comme des images qui définissent plus largement une ambiance, un style, un univers. A partir du moodbard, les designers et l’opérateur vont définir les points communs des images qui définissent le mieux le style recherché et extrapoler sur cette base, les matériaux et les couleurs qui composeront le design du train.
Une fois les matériaux et les couleurs définies, c’est là que la magie et le talent du designer entrent en jeu. Le succès du design ne pourra pas se résumer à l’application pure et dure de ces matériaux et couleurs sur la reproduction en 3D du train : il faudra tester, itérer, changer jusqu’à trouver le subtil équilibre qui crée ce fameux effet wahou ou ce sentiment d’appartenance et de bien-être lorsque l’on entre dans un lieu … idéalement designé.
Ça y est, nous arrivons à la fin de cette saison et nous avons maintenant un train intégralement désigné. Enfin presque ! Puisqu’il faut maintenant le trouver et le rénover dans le cas du matériel d’occasion ou le faire construire dans le cas du matériel neuf, avant dans un cas comme dans l’autre, de le financer.
Nous espérons que cette deuxième saison vous aura permis de vous mettre dans la peau d’entrepreneurs dans le monde ferroviaire et de comprendre un peu mieux ce qui fait le sel de nos journées. Impossible de conclure cette saison sans remercier nos partenaires qui nous accompagnent au quotidien dans cette démarche : Yellow Window pour le design industriel, Railtarget pour l’ingénierie et le suivi technique, et Apex Rail pour le financement.
Rendez-vous début 2022, pour la troisième saison !