Après une première saison consacrée à l’achat du matériel roulant, Midnight Weekly vous propose cette fois une saison en cinq épisodes, pour tout vous raconter sur comment designer un train (et plus encore, comme quand dans notre cas, le design participe à réenchanter le voyage en train de nuit).
Dans l’épisode précédent, nous avons établi le diagramme de chaque voiture (en y intégrant notre inventaire des espaces, sujet du premier épisode) et composé une première version de notre train. Cette fois, on passe à l’étape suivante : nous allons simuler la demande et itérer sur les diagrammes et la composition des trains. Cette étape est clé car elle va permettre d’affiner les premières hypothèses grâce à des données factuelles et tangibles, qui vont conforter les décisions prises par l’opérateur.
De mauvaises décisions à ce moment-là du processus peuvent avoir des retombées fatales tant pour les voyageurs (niveau de services, confort, pertinence de l’offre,...) que pour l’opérateur (en matière de rentabilité économique, notamment). Sans oublier qu’une fois le train en opération, sa durée de vie peut aller de 10 ans (pour du matériel d’occasion) à 30 voire 40 ans (pour du matériel neuf) : toute modification future importante nécessiterait de repasser par la case homologation. Ainsi, les décisions qui vont être prises, seront quasiment irréversibles et ce, pour un paquet d’années.
Avant de simuler la demande et de s’assurer que les diagrammes et la composition soient optimaux, nous vous proposons de commencer par une approche macro qui consiste à vérifier que la capacité annuelle de l’opérateur, sur la base du premier jet de l'épisode dernier, est cohérente avec le marché visé. En fonction, nous pourrons alors augmenter ou diminuer la taille de la composition du train avant de simuler ensuite la demande de manière plus granulaire et d’optimiser l’accès aux services pour les voyageurs. On repart sur notre exemple depuis le début de cette série : un service de trains de nuit avec un positionnement luxe pour les voyageurs d’affaires.
Afin de définir une première version de la composition type du train, nous étions partis sur un composition maximale de 14 voitures avec la répartition suivante :
Imaginons maintenant que les diagrammes fassent ressortir une capacité par type de voiture de :
Ce qui nous amène à une capacité totale du train de :
Maintenant la capacité totale du train définie, croisons-la avec le plan de transport prévu par l’opérateur. Celui-ci réside en une combinaison du nombre de jours de services par an (365 ou moins) et de la fréquence journalière (le nombre de trains qui partent chaque jour). Nombre d’éléments vont influencer le plan de transport tels que la cible visée par l’opérateur (les voyages d’affaires ne se font généralement pas le week-end), l’accès à l’infrastructure ferroviaire (plages horaires réservées aux travaux, certains jours de la semaine, par exemple) ou encore le schéma de maintenance des trains (certains jours où le train sera non disponible au service pour cause d’entretien).
En vrai, on va faire simple pour étayer notre propos de la façon la plus claire possible. Dans notre exemple, le cible étant des voyageurs d’affaires, prévoyons un plan de transport de 5 jours par semaine (nous excluons les week-ends) et rêvons à un monde idéal où le matériel et l’infrastructure sont disponibles à notre guise, nous avons donc 5 jours x 52 semaines, soit 260 jours de services par an.
Imaginons ensuite que la fréquence journalière soit de 2 trains par jour. Attention sur ce point, dans le cas du train de nuit, n’avoir qu’un seul par jour suppose un départ un jour sur deux à chaque extrémité de la ligne. Concrètement : le train part le lundi de Paris pour arriver le mardi matin à Rome, puis repart le mardi soir de Rome pour arriver le mercredi matin à Paris. Ainsi, l’opérateur n’a pas de départ de Paris le mardi soir. Ainsi, la capacité maximale annuelle de l’opérateur serait, dans notre exemple, de 200 lits par train x 2 trains par jour x 260 jours = 104.000 lits individuels. Ça commence à chiffrer, vous suivez ?
Si, dans le cadre des études de marché réalisées, l’opérateur estime que le nombre maximal de voyageurs annuels correspondant à sa cible est d’environ 70.000 voyageurs sur la ligne qu’il souhaite opérer, il aura alors deux choix possibles :
Dans le premier cas, il n’aurait alors que 7 voitures avec chambres au lieu de 10, diminuant ainsi les coûts totaux de son matériel roulant mais avec le risque d’avoir de la rupture de stock si le marché est plus important que prévu. Dans le second cas, il aura un parc de voitures possiblement surdimensionnées (et donc des coûts plus élevés) mais avec une capacité d’absorber une demande plus importante que prévue.
Pour la suite de l’exercice, imaginons que notre opérateur de trains de nuit décide de partir sur la première option. La première simulation nous amène donc à la première itération sur la composition du train :
Soit une capacité maximale annuelle de 140 lits par train x 2 trains par jour x 260 jours = 72.800 lits individuels.
La prochaine étape consiste à présent à simuler la demande de manière plus granulaire et notamment au niveau des services apportés aux voyageurs.
Effectuons dans un premier temps la simulation sur le service de restauration. Pour ceux qui sont encore là (chapeau bas, vous allez bientôt monter votre compagnie, vous aussi, à ce rythme!), nous avons un maximum de 140 couchages par trains soit 140 voyageurs au maximum (puisque ce sont des couchages individuels). Si l’intégralité de ces voyageurs souhaitent bénéficier de l’offre de restauration, il faudra donc que l’opérateur puisse avoir 140 places assises au(x) restaurants.
Etant donné que chaque voiture restaurant dispose de 40 places assises et que nous en avons prévu deux par composition, cela nous donne une capacité maximale de 80 places. Par conséquent, l’opérateur aura plusieurs choix possibles :
Imaginons que l’opérateur opte pour le second choix, le composition du train se voit alors de nouveau modifiée :
Cet exercice peut être alors répliqué sur les autres services, comme les salles de réunion et les conférences, mais à ce stade, vous devriez avoir commencé à comprendre la logique ! Bien évidemment, les simulations et les itérations ne s’arrêtent pas là, ce serait trop simple. Il convient maintenant de vérifier la cohérence économique des décisions que nous venons de prendre.
L’approche la plus simple revient à déterminer le prix moyen du billet (en fonction des coûts annuels estimés pour opérer la ligne, comme du taux de remplissage moyen estimé) et de le comparer (i) au prix que la cible serait prête à payer et (ii) à l’environnement concurrentiel des autres moyens de transport.
Si nous prenons comme hypothèse un coût annuel total pour opérer la ligne de 30 millions d’euros et un taux de remplissage cible de 90%, alors le prix moyen pour atteindre le point de rentabilité serait donc de 30.000.000€ / (90% x 72 800 lits), soit 458€ par trajet par personne. Si ce prix moyen ne semble pas cohérent et compétitif au regard du niveau de services proposé, il faut alors itérer de nouveau en repassant par les étapes précédentes pour trouver la solution optimale.
Ces nouvelles itérations peuvent assez rapidement nous faire revenir sur les diagrammes comme l’offre de service. On pourrait par exemple considérer que le prix moyen est 50% trop élevé et qu’il faille donc avoir une capacité de 30 lits par voiture avec des chambres (50% de plus que les 20 lits que nous avons actuellement). L’espace d’une voiture étant contraint, cela peut signifier qu’il faille abandonner l’idée des douches privatives pour l’intégralité des chambres et introduire alors un nouvel élément dans l’inventaire des espaces : des chambres individuelles sans douche privative.
Dans le cas contraire, l’opérateur peut figer les diagrammes comme la composition-type et rentrer dans un niveau de détails plus précis à l’intérieur de chaque espace : les éléments fonctionnels et techniques, objet de notre épisode suivant. A suivre !