Nous l’avons vu la semaine dernière, les SAF sont au monde du carburant ce que les chips sont à celui de l’apéritif. D’abord, ils sont plutôt salissants quand on met les doigts dedans mais c’est de l’ordre du détail. Le véritable point commun entre ces carburants conçus pour réduire l'impact environnemental de l'aviation et ce que nos cousins québécois appellent les croustilles est qu’ils sont pléthore. Ils sont si nombreux qu’il est difficile de savoir à quoi s’en tenir réellement. C’est vrai, non ? Comment faire confiance à un terme qui recouvre à la fois un produit sourcé et produit localement par un maître chipsier et une ignoble rondelle de patate cultivée sous serre au bout du monde revendiquant un goût cheeseburger ? La réponse est simple : on ne peut pas. Nous serons contraints de naviguer à travers leur multiplicité comme dans un rayon de supermarché pour apporter une réponse pertinente aux deux questions qui nous occupent aujourd’hui : les carburants durables pour l’aviation sont-ils véritablement durables ? Et sont-ils écologiques ?
Commençons d’abord avec la durabilité, soit la capacité à être utilisable aujourd’hui et demain sans flinguer le futur de nos enfants. “Le niveau de durabilité des SAF est évalué en prenant en compte l'ensemble du cycle de vie, de la production à l'utilisation, et en comparant les émissions de gaz à effet de serre aux carburants conventionnels. Il dépend de plusieurs facteurs, notamment les matières premières utilisées, les méthodes de production, les émissions de GES et l'impact sur l'utilisation des terres”, explique Charlotte de Lorgeril, Energy Partner au sein du cabinet Sia Partners. “Leur durabilité dépend de la manière dont ces matières premières [celles à partir desquelles ils sont créés, ndlr] sont cultivées et transformées. Les biocarburants peuvent avoir un impact négatif sur l'utilisation des terres et la sécurité alimentaire s'ils sont produits à grande échelle, mais des approches durables visent à utiliser des terres non cultivées ou des déchets agricoles pour la production”, ajoute l’experte.
En effet, puisque les carburants dont nous parlons ici restent des alternatives au kérosène destinées à brûler dans un moteur, ils ne sont durables qu’au plan de leur production. Et ils ne sont donc durables et écologiques que de manière relative, par rapport aux carburants d’origine purement fossile qui alimentent actuellement les avions. Si l’utilisation du kérosène est dramatique, celle des SAF l’est donc un peu moins. Malheureusement rien de plus. Par ailleurs, même au plan de la production, les sustainable aviation fuels sont loin d’être tous parfaits. Et pour cause, rien ne sert de produire un carburant alternatif à base de betterave s’il prive le monde de terres arables pouvant servir à nourrir l’humanité. Ni de créer un carburant de synthèse supposément durable par électrolyse grâce à une électricité non-durable.
D’ailleurs, la dimension écologique de ces carburants fait débat. Comme l’explique encore Charlotte de Lorgeril : “Ils sont présentés par certains, notamment les acteurs du secteur, comme solution potentielle pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie de l’aviation, mais les impacts écologiques des SAF sont encore controversés. L’intérêt théorique des SAF sur le plan écologique réside dans le fait qu’ils sont produits en partie à partir de ressources renouvelables, et notamment issues de la biomasse et des déchets. Cela a un avantage du point de vue des émissions de CO2 : un carburant produit à partir de ressources agricoles a un bilan carbone inférieur à un carburant fossile, car le carbone dégagé lors de la combustion du carburant est un carbone préalablement stocké dans la biomasse. On ajoute donc moins de CO2 net dans l’atmosphère.” Elle poursuit : “En fonction des matières premières utilisées, il faut distinguer les SAF conventionnels (dits de 1ère génération) utilisant les cultures vivrières (soja, palme, colza, tournesol) ou sucrières (betterave, maïs), des SAF avancés (dits de 2nde génération) ayant recours à la biomasse (résidus forestiers ou agricoles) ou aux déchets organiques (huile de cuisson usagée, graisse animale, déchets municipaux). Les SAF de 1ère génération restent très émetteurs en CO2 (de 1 à 1,5 fois plus que le kérosène classique) compte tenu de la culture des matières premières, alors que les SAF de 2nde génération peuvent réduire de 20% à 80% les émissions de CO2 par rapport au kérosène classique.” Bref, le bilan de certains SAF est plutôt bon même si, comme le rappelle Charlotte de Lorgeril, “l'adjectif ‘écologique’ peut être sujet à interprétation et dépend de la perspective et des critères de durabilité spécifiques.”
Enfin, la durabilité et la dimension écologique des SAF tiennent à la quantité que l’aviation en utilise. Peuvent-ils vraiment garder ces qualités, déjà franchement relatives, si on les utilisent à grande échelle ? S’il faut en produire assez pour que tous les avions du monde volent avec eux et pas avec des mélanges essentiellement composés de kérosène ? Bien sûr, ils seront probablement toujours plus propres que ce bon vieil or noir arraché dans le cœur de notre planète. Mais cela en fait-il une bonne solution pour autant ? Rien n’est moins sûr.