Nicolas Bargelès — Dans le ferroviaire, la maintenance est au centre de tout. Du petit boulon devant être changé à intervalles réguliers pour éviter un risque de sécurité au fonctionnement de la climatisation ou des systèmes de freinage, tout passe par la maintenance. Même l’entretien du four ou de l’évier du wagon-restaurant. En Europe, on considère qu’elle se divise en quatre grandes catégories : l'exécution, qui visse concrètement les boulons sur le train ; l'ingénierie, qui dit quels boulons il faut visser ; la planification, qui s’assure que le train entre au centre aux bons kilométrages afin qu’on change le boulon avant qu’il y ait un problème ; la supervision, qui s’assure que les trois premières fonctionnent correctement. C’est vous dire le barnum que cela représente.
D’ailleurs, financièrement aussi, la maintenance est au centre de tout. Que l’on parle de voitures tractées ou de locomotives, il faut savoir une chose : elles coûtent plus cher à entretenir qu’à acheter. Pour vous donner une idée globale, le prix d’achat du matériel roulant représente 40% de ce qu’il coûtera sur l’ensemble de sa durée de vie. Les 60% restants sont constitués par les coûts de maintenance.
Bien évidemment, la maintenance d’un train ne se fait pas sur un quai de gare avec deux ou trois agents sur les voies. Pour réparer ou entretenir une voiture ou une locomotive, il faut la déplacer dans un centre de maintenance qui se trouve en général à proximité d’une gare. Une fois qu’on a cela en tête, une question fondamentale se pose : doit-on réaliser notre maintenance nous-mêmes ou la sous-traiter ? Dans le premier cas, cela représente un énorme budget pour l’ouverture des premières lignes mais qui se lissera lorsque nous ouvrirons de plus en plus de lignes. Dans le second cas, il faut donc faire appel à un prestataire extérieur. Or, sur le territoire français, qui reste le centre névralgique de Midnight Trains, il y en a très peu. Il y en a sensiblement plus en Italie.
A priori, nous nous dirigeons vers la seconde option. Mais elle pose une autre question : où devons-nous localiser cette maintenance ? En Italie où il existe une grande culture des opérateurs de maintenance ? Pourquoi pas. Mais, dans ce cas, comment ferons-nous lorsque nous lancerons des trains en direction de Berlin et de Copenhague ? Nous devrons avoir un second centre de maintenance car, sans cela, notre matériel roulant vers l’est et le nord de l’Europe sera retiré trop longtemps du service. Pour éviter ce genre de souci, il nous faut donc établir une logique de hub. C'est-à-dire développer nos premières lignes autour d’un point central où nous pourrons installer notre maintenance ainsi que notre force de vente et notre siège. Car oui, eux aussi, doivent être localisés quelque part pour renforcer leur efficacité. En effet, si nous installons tout cela ailleurs, en Italie ou en Espagne, il faudra capitaliser sur cela pour développer nos lignes suivantes. Sauf que nous l’avons vu, ces marchés ne sont pas si simples à adresser et pas si intéressants au plan commercial. C’est là que les différents bilans que nous avons faits — les réseaux, le matériel roulant, la maintenance — se font écho les uns aux autres. À eux tous, ils dessinent progressivement la façon dont nous allons trouver les espaces parmi toutes ces contraintes pour créer l’offre de Midnight Trains, qui doit être motivée par la taille des marchés adressables.
Vous l’aurez peut-être compris au fil des épisodes précédents, nous avons décidé de centraliser notre hub à Paris avec cinq premières lignes au départ de la Ville Lumière. J’ai donc commencé à faire une liste des entreprises qui pourraient être intéressées par le fait de faire de la maintenance sur des trains de voyageurs. Mais elles sont peu nombreuses et elles voient mal comment s’inscrire dans les dynamiques qui seront les nôtres. Parmi elles, il y a tout de même la SNCF qui s’est posé des questions là-dessus pendant longtemps. Elle hésitait entre une logique proche de celle des compagnies aériennes comme Air France — valoriser son savoir-faire pour réaliser de la maintenance pour d’autres opérateurs — ou garder son savoir-faire pour elle. Elle a progressivement opté pour la première option en créant une entreprise appelée Masteris, spécialisée dans la maintenance et l'ingénierie ferroviaire.
Enfin, dernier problème : sur quelles installations réaliser la maintenance ? Il existait à proximité de la Gare de Lyon, à Paris, un grand complexe où nous aurions pu localiser l'activité, à Villeneuve-Saint-Georges. Malheureusement, cette installation est en cours de démantèlement pour être remplacée par un centre de maintenance prévu pour les trains de banlieue. Encore un nœud au cerveau donc. Mais un nœud que, comme les autres, nous allons défaire pour avancer, car il y a toujours des solutions.