Nous aimons nous convaincre que les grands défis que l’humanité a relevés sont le fait de sa soif de découverte et d’aventure. Ces exploits ont pourtant bien souvent été motivés par un tout autre appétit : l’exploitation des ressources. Au fil des siècles, celui-ci s’est révélé capable de stimuler l’intelligence, la créativité et la détermination des hommes, particulièrement au XIXe siècle où rien ne semblait hors de portée du progrès technique. Ce constat n’enlève toutefois rien aux immenses qualités de ces réalisations aux origines mercantiles, surtout lorsque celles-ci finissent par se mettre au service du voyage et de la découverte du patrimoine de notre planète. L’histoire que nous allons vous raconter aujourd’hui, celle de l’Ofotbanen, la première ligne de train construite au-delà du cercle arctique, s’inscrit parfaitement dans cette logique.
Cette aventure commence au XVIIe siècle avec la découverte d’importantes quantités de minerai de fer dans ce qui est aujourd’hui le grand nord norvégien. Malgré des tentatives de mettre en place des convois tirés par des rennes et la construction de bâteaux de transport, ces ressources restent très peu exploitées pendant presque deux siècles. Les moyens techniques de l’époque ne sont pas capables de faire face aux conditions climatiques extrêmes et à la nature sauvage de la région. Pour les explorateurs de l’époque, chaque butte, chaque rivière, chaque lac et chaque degré celsius en-dessous de zéro devient une montagne infranchissable.
C’est finalement l’invention du train qui viendra à bout des résistances de ce territoire. Dès 1882, les Britanniques, qui lorgnaient déjà très avidement sur le minerai de la région, obtiennent le droit de construire une ligne de train reliant la région Victoria Havn (où se situe aujourd’hui Narvik), en Norvège, et la ville suédoise de Kiruna, elle-même située au-delà du cercle arctique, ce qui en fait la seule ligne de train norvégienne reliée au réseau suédois sans l’être à celui du reste du pays.
Très vite, les ouvriers présents sur le chantier rencontrent les mêmes problèmes que leurs prédécesseurs : le froid, les tempêtes, la nuit qui arrive trop vite, la rudesse de la nature et une topographie difficile. Mais grâce à une génération de travailleurs ultra déterminés appelés les navvies en anglais, ou les rallar en norvégien, les travaux se poursuivent coûte que coûte. Ils commencent paradoxalement par la construction d’une route permettant d’acheminer facilement le matériel nécessaire au projet. Aujourd’hui encore, elle porte un nom leur rendant hommage : la Rallarvegen.
La présence de ces ouvriers habitués aux conditions extrêmes a notamment donné naissance à la ville de Rombaksbotn. Habité par quelques agriculteurs et pêcheurs, ce petit bourg d’une tranquillité toute nordique s’est rapidement transformé en une agglomération de plus de 500 âmes où sont apparus des casernes, des maisons, un hôtel, un bowling, une épicerie, des restaurants et des bars pour les travailleurs, les ingénieurs et les militaires qui encadraient la construction. Deux sœurs allèrent jusqu’à ouvrir un bordel dans lequel se prostituaient des jeunes femmes du coin. Enfin, conséquence logique du reste, un poste de police et une prison ont fait leur apparition.
La ville de Rombaksbotn ne survivra pourtant que cinq ans puisqu’un grand incendie a définitivement détruit la ville, quelques années après la fin du chantier. Il n’en reste aujourd’hui que des ruines. Drôle de destin pour une cité aussi septentrionale que de disparaître dans les flammes. Elle sera finalement remplacée par la création ad hoc de la ville de Narvik en 1902, année du lancement de la ligne.
Ce n’est qu’avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale en Europe que l’Ofotbanen va connaître sa véritable heure de gloire. Le 9 avril 1940, les forces du IIIe Reich débarquent en effet à Narvik après avoir coulé plusieurs cuirassés norvégiens. Soixante-deux jours de batailles navales, puis terrestres, se déroulent alors pour le contrôle de cette ligne ferroviaire et l’exceptionnelle approvisionnement en minerai de fer qu’elle représente. Une ressource fondamentale pour construire les avions, les bâteaux et les chars dont les lignes de production tournent alors à plein régime. Première victoire des alliés durant la Seconde Guerre mondiale, la bataille de Narvik se soldera pourtant par leur retrait et la reprise du contrôle de de la ville par les nazis le 9 juin 1940. Au moins 8.500 personnes ont perdu la vie au cours de ces évènements.
Malgré une construction particulièrement difficile, l’Ofotbanen constitue indéniablement un investissement rentable. Et pour cause, cent-vingt ans après son inauguration, la ligne a déjà permis de transporter plus d’un milliard de tonnes de minerai de fer et, par extension, de participer à la construction de toute une partie du monde moderne que nous connaissons. Mieux encore, il convoie également les locaux et les touristes qui viennent découvrir la nature hors du commun de la région. Or, comme nous l’affirmait la mythique émission de télévision Ushuaïa, l’émerveillement est le premier pas vers le respect. Et plus personne ne l’ignore aujourd’hui, notre planète a bien besoin qu’on la respecte et qu’on la protège.