Depuis la création de Midnight Weekly, nos saisons successives vous aidant à vous familiariser avec l’aventure de la création de notre compagnie d’hôtels sur rails, ont rencontré un grand succès. A la demande de nombre d’entre vous, c’est une nouvelle saison qui a commencé et dont voici le quatrième et dernier épisode.
Après Acheter un train, mode d’emploi et Designer un train, mode d’emploi, cette nouvelle saison vous fait découvrir tout ce qui préside au cadre réglementaire ferroviaire en Europe et donc, tout ce avec quoi Midnight Trains compose au quotidien, dans la perspective de vous accueillir à bord de nos trains, à compter du début de l’année 2024. Dans un système ferroviaire où les responsabilités sont morcelées, les constructeurs multiples et le besoin d’interopérabilité croissant, quelles règles de conception les trains doivent-ils respecter et comment s’assure-t-on de leur compatibilité avec l’infrastructure ?
Le transport ferroviaire a les défauts de ses qualités : un contact quasi ponctuel fer - fer caractérisé par une très faible adhérence, qui requiert donc une faible énergie…et qui explique aussi des distances de freinage importantes : 1.000 m à 160 km/h et 3.300 m à 300 km/h. Les trains ne peuvent donc pas se suivre de trop près et si la signalisation les espace, il faut donc planifier leurs mouvements et tenir compte de la capacité nécessairement finie d’une infrastructure ferroviaire. Ajoutons à cela les difficultés liées aux vitesses différentes et aux possibilités de dépassement limitées : autant de données d’entrée pour le tracé des horaires. Autrement dit, les sillons, ces créneaux d’autorisation de circulation pour les trains, sont le nerf du transport ferroviaire, et les travaux peuvent avoir tendance à jouer avec les nerfs de celles et ceux qui définissent ces fameux sillons.
Pour l’éviter le plus possible, tout commence le plus souvent trois à quatre ans à l’avance. Avant de planifier des horaires de trains, on planifie donc les travaux. Maintenance courante, régénération ou développement : on assigne à chaque axe des fenêtres prédéfinies, espace-temps alloués à ces opérations. L’impact des travaux sur les circulations commerciales est parfois négligeable : sur des lignes de banlieue, ils sont réalisés de nuit et gênent tout au plus les couche-tard lorsque les derniers trains doivent être supprimés ; sur des lignes à trafic mixte, il peut n’y avoir aucun bon moment pour les faire.
En France, les modes opératoires et l’infrastructure vieillissante requiert en plus une plage de surveillance d’une heure en période diurne, durant laquelle des inspections visuelles et de menus travaux peuvent être réalisés. L’équipement du réseau compte aussi : en Suisse, en Allemagne ou en Italie, les voies sont bidirectionnelles et il est possible de circuler en alternance sur l’une lorsque l’autre est fermée à la circulation. Ces installations sont moins courantes dans l’Hexagone, rendant l’impact de la maintenance plus douloureux.
La volonté de réaliser les travaux le plus économiquement possible aboutit souvent à augmenter les durées d’interruption : il est vrai que les procédures de sécurité préalables à toute intervention de personnel et de moyens lourds sur les voies peuvent nécessiter une demi-heure, avant et après l’opération proprement dite. Le gestionnaire d’infrastructure français, aux prises avec des difficultés financières que le dernier contrat de performance avec l’Etat ne règle en rien, a donc souvent la main lourde, préférant couper le trafic pendant six heures au lieu de quatre en journée, ou huit heures au lieu de six, la nuit – faisant dire à certains observateurs que le réseau ferré sert à faire des travaux plutôt qu’à faire rouler des trains.
Vous l’avez deviné, au sein de Midnight Trains, nous sommes aux prises avec ces sujets. Il n’y a pas de solution simple, mais le constat que le redéveloppement de trains de nuit ne peut s’envisager sérieusement que si l’infrastructure est réellement disponible.
Heureusement, le réseau est parfois maillé, faisant apparaître des itinéraires alternatifs. Pour aller en Italie, par exemple, on peut transiter par la Vallée de la Maurienne, en Savoie, ou bien passer par la Suisse… Encore faut-il que ces différentes routes soient coordonnées entre elles et ce, à l’échelle internationale. Lorsque l’on se situe sur un corridor de fret tel que défini par la Commission européenne, une entité spécifique est chargée de la coordination. En revanche, dans les autres cas, on navigue en zone grise, et c’est souvent le demandeur de capacité - comme c’est notre cas avec Midnight Trains - qui doit animer cette coordination.
Une fois procédé à ce mitage du graphique espace-temps, on peut commencer à planifier les circulations commerciales… Toutes les entités regroupées sous l’appellation de demandeurs de capacité doivent introduire leurs besoins en avril de l’année précédente. En réalité, le processus commence souvent plus tôt encore, sur certains réseaux denses - comme l’Allemagne ou la Suisse puisque l’exercice est plus théorique en France - qui planifient d’abord la trame cadencée. Là où l’horaire est répétitif, le besoin industriel trouve d’abord sa place puis viennent les besoins plus ponctuels au cours des vingt-quatre heures de la journée.
Pour le trafic international, le processus se poursuit par une étude de faisabilité en janvier de l’année précédente, au cours de laquelle les différents gestionnaires d’infrastructure se coordonnent, puis par une commande définitive mi-avril. Les demandes sont alors traitées, et répondues, dans le courant du mois de septembre. Juste à temps pour ouvrir les ventes du tout début du service annuel, lequel ne commence pas au 1er janvier mais courant décembre. Parfois, quelques délais supplémentaires viennent gripper la mécanique.
La réglementation européenne prévoit aussi la possibilité de signer un accord-cadre, c’est-à-dire un engagement réciproque et pluriannuel entre gestionnaire d’infrastructure et entreprise ferroviaire. Il n’y a pas à proprement parler allocation d’un sillon sur plusieurs années, mais engagement du gestionnaire d’infrastructure à honorer la commande suivant un certain nombre de contraintes convenues au préalable, telles que l’itinéraire, le temps de parcours ou encore l’intervalle sur l’horaire de départ et d’arrivée. De son côté, l’entreprise ferroviaire s’engage à bien commander cette capacité.
Le dispositif est assez peu courant en France, et il a toutefois inspiré une refonte des processus à l’échelle européenne qui devrait intervenir dans les prochaines années : c’est le projet TTR (TimeTable Redesign), dont le principe-clé est de permettre une allocation de sillon sur une durée supérieur à un service annuel, tout en conservant suffisamment de capacité pour les trafics nécessitant de la flexibilité - le transport de marchandises, essentiellement. Une évolution logique et majeure, dans une industrie parfois rétive au changement… Le grand soir n’est pas encore pour demain.
Mais alors, qui peut commander de la capacité ? Les opérateurs de transport ferroviaire peuvent évidemment demander des sillons. Pour l’être, il suffit de détenir une licence d’entreprise ferroviaire et un certificat de sécurité, dont on vous parlait dans le précédent épisode de cette série. Dans le cas de Midnight Trains, nous n’en disposons pas encore. Pour autant, en France, le document de référence du réseau prévoit que peuvent acquérir de la capacité « toute personne ayant des raisons commerciales ou de service public […], telle qu'un opérateur de transport combiné, un port, un chargeur, un transitaire ou une autorité organisatrice de transport ferroviaire », personnes que l’on appelle les « candidats autorisés ». Au moment de la circulation, en revanche, pas de doute : le train doit être opéré par une entreprise ferroviaire, qui a la responsabilité de la conformité à la réglementation opposable.